Risk management et philanthropie
July 1st, 2014 | L'AGEFI Par Elsa FLORET
Philanthropy Advisors. Forte orientation des fonds des donateurs privés dans l’urgence et les catastrophes naturelles.
Le tremblement de terre en Haiti, le typhon aux Philippines ont été des évènements récents qui ont suscité de nombreuses donations de la part de bailleurs de fonds privés. Les fondations Bill & Melinda Gate, Kellog’s, Ikea, American Express, Vodaphone, MacArthur, William & Flora Hewlett ainsi que les fondations des grandes institutions, comme la fondation Optimus d’UBS en Suisse, adoptent une nouvelle politique de soutien dans l’urgence. Un tel soutien aux actions d’urgence s’inscrit-il dans une nouvelle tendance philanthropique où les enjeux en termes d’image et de visibilité ne restent jamais très éloignés? Eric Berseth, fondateur de la société Philanthropy Advisors, conseille les individus, les entreprises et les fondations dans leurs projets philanthropiques. Totalisant avec ses associés une quinzaine d’années d’expérience dans le travail de terrain pour les ONG et des organisations internationales, il explique à L’Agefi les intérêts du secteur privé en matière de philanthropie. Etablie à Genève depuis 2012, sa société se veut être le pont entre les grands donateurs et les ONGs.
La volonté observée chez les grands bailleurs de fonds privés de se positionner dans l’urgence, s’inscrit-elle ans une tendance des donations philanthropiques aujourd’hui ?
C’est en effet une tendance naissante. Dans le cas de la fondation Optimus d’UBS, sa réponse à l’urgence aux Philippines en fin 2013 avec ce niveau d’implication est pour eux une première. Cette volonté d’adresser les réponses d’urgence de manière responsable et appliquée est née de volontés internes de faire les choses aux mieux, en particuliers en staffant la fondation de personnes compétentes issues du monde des ONG pour la direction des programmes. Ils apportent une vraie différence dans la compréhension des projets soutenus. En s’impliquant dès la phase initiale dans la collecte des données et l’évaluation des besoins, ils sont à même rapidement d’allouer leur financement à des projets rigoureusement gérés et pertinents et ce, malgré les difficultés de mises en œuvre dans ces contextes complexes.
L’implication dans les opérations d’urgence du secteur privé est aussi le résultat d’une volonté des employés de vouloir participer à la réponse aux crises humanitaires. Cette tendance se retrouve dans de nombreuses grandes entreprises qui après des interventions organisées sur le tard lors des précédentes crises développent actuellement des fonds d’urgence qui leur permettent de réagir immédiatement lors des catastrophes naturelles auxquels peuvent participer de manière indirecte les employés.
Comment s’opère la coordination entre les ONG fortement représentées dans les pays subissant ces catastrophes naturelles et le secteur privé ?
La clé du succès réside irrémédiablement dans la compréhension mutuelle. Des deux côtés, les responsables doivent apprendre à se parler, s’écouter et comprendre les forces, les faiblesses et les limites de l’autre. Du fait d’une absence de dialogue entre les parties prenantes notamment, la catastrophe naturelle en Haiti s’est transformée en une immense foire humanitaire en grande partie inefficace. Certaines entreprises privées croyant bien faire ont par exemple envoyé des milliers de bouteilles d’eau de 25 cl en plastique créant des embouteillages logistiques sans parler de l’impact écologique. D’autres acteurs ont envoyé des systèmes de purification d’eau mais fonctionnant à l’électricité alors que l’électricité se faisait rare à Port-au-Prince. De tels exemples démontrent à quel point l’étape d’évaluation sur le terrain et sa connaissance sont primordiale voire vitale. C’est précisément à ce stade que Philanthropy Advisors intervient et joue le rôle de médiateur entre le secteur privé et les ONG que nous connaissons bien. De nombreux apriori existent des deux côtés. C’est là qu’intervient notre valeur ajoutée.
Outre le financement du développement traditionnel tel que la santé, la nutrition, l’éducation, la création de fonds d’urgence dédiés permet-elle au secteur privé le déploiement rapide des moyens lors des crises ?
Absolument. Nous poussons nos clients à remplir les gaps de financement qui sont la toute première phase de la réponse et la phase de recovery située entre les phases d’urgence initiale et de reconstruction. Les grands bailleurs de fonds privés peuvent comprendre cette problématique. Dans leur démarche philanthropique, ils s’inspirent des mêmes process du monde des affaires qu’ils connaissent bien: transparence, indicateurs de performance, implication de personnes compétentes, recours à des prestataires externes si besoin, etc.. Ils font ainsi appel à Philanthropy Advisors pour notre expertise acquise dans l’opérationnel au sein du milieu ONG (CICR, Médecins Sans Frontières, Caritas, etc.) tant sur la réponse à l’urgence que dans la préparation et la stratégie définie au préalable. Nous sommes là, entre autres, pour les aider à approfondir leur réflexion sur ce qu’ils financent et les aider à déployer des moyens utiles et pertinents au bon moment et au bon endroit. Nous établissons une relation tripartite avec les ONGs et nos clients pour les accompagner dans cette démarche.
N’assiste-on pas parallèlement à une savante gestion de la communication externe de ces grands bailleurs de fonds privés ?
Il est indéniable que les enjeux en termes d’image sont considérables. Ainsi, un projet qui s’enliserait ou qui serait mal géré car pas assez contrôlé par les donateurs s’avérerait préjudiciable pour leur réputation. Au contraire, si le projet humanitaire est de qualité, tout le monde est gagnant.
Pour les entreprises de B2C, outre un retour sur leur investissement communication excellent et l’acquisition de nouveaux clients c’est surtout le sens donné pour leurs employés qui compte parmi les avantages les plus précieux. Le groupe américain de cosmétiques MAC possède un taux de rétention de son staff trois fois supérieurs aux sociétés du même secteur. Les projets philanthropiques comme le MAC AIDS FUND financé par la totalité des ventes de leur produit Glam Gloss est investi dans un projet de lutte contre le HIV en Afrique du Sud. Les ambassadrices telles que Lady Gaga et Madonna ont contribué bénévolement au succès de cette image de marque méritée alors que le budget de communication du groupe est 20 fois inférieur à celui de ses concurrents.
Les bailleurs privés sont-ils entrain de devenir plus responsables dans leur approche philanthropique ? Sommes-nous entrain de sortir du donor’s led granting ?
En effet. L’enjeu actuel réside plus dans la recherche du bon projet à financer que la justification du financement en lui-même. La partie évaluation des projets en amont comme en aval prend une place toujours plus grande.
La tendance aujourd’hui est de financer mieux l’évaluation plutôt que seulement allouer des ressources et de financer des projets spécifiques plutôt que des ONG entières.
Le secteur privé a un énorme rôle à jouer notamment sur les risques qu’il est capable de prendre, en matière de Recherche& Développement et dans l’innovation. Il peut arriver que sur dix projets financés par la Fondation Bill& Melinda Gates, seul un fonctionne. C’est un « luxe » que peut se permettre le secteur privé contrairement à des bailleurs publics, qui eux sont tenus de rendre des comptes aux contribuables qui les alimentent. Une tendance se dessine également au sein des ONG : la création de postes de Responsable de Partenariats est en plein essor, montrant la volonté du milieu des ONG de cadrer le dialogue qu’elles ont avec le secteurs privés. Il existe aussi de forts enjeux d’image pour ces ONG qui doivent savoir gérer leur communication et aller chercher des bailleurs de fonds qui correspondent à leur éthique de travail.
Interview :
Elsa FLORET
Original article on L'AGEFI Par Elsa FLORET