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Le don,un must mondain qui pourrait sauver le monde

December 11th, 2017  |  LE MONDE

Tout augmente chez les riches : leur nombre, leur fortune et leur générosité. Un espoir pour les pays envoie de développement.

LE MONDE, 12 octobre 2017

Per Heggenes est un homme pressé. Cet ancien pilote de chasse norvégien, directeur de la Fondation Ikea, partage son temps entre son quartier général aux PaysBas, sa maison des bords du Léman et les 43 pays où sa fondation finance des abris pour réfugiés, des lanternes solaires ou distribue des millions de dollars d’aide humanitaire.

«Je supervise des centaines de projets avec soixante partenaires», dit il lors d’une brève halte sur la côte vaudoise. Entre2013et 2015, sa fondation, soeur de celle qui possède le géant suédois du meuble, a injecté 405,8 millions de dollars (345,9millions d’euros) dans des projets de développement, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et encore 142 millions d’euros en 2016.

Avec ses confrères d’autres méga fondations, il incarne un phénomène qui bouscule l’aide au développement. Selon Brad Smith, qui dirige le Foundation Center de New York, les fondations d’intérêt public enEurope et aux EtatsUnis disposeraient aujourd’hui de plus de 1600 milliards de dollars et en dépenseraient 120 par an.

Les pays en développement n’en reçoivent encore qu’une fraction (4%), mais la tendance est à la hausse.«Malgré tous ses défauts, l’économie mondiale a été très bonne pour produire des milliardaires, observe Brad Smith. La taille de ces fortunes est tellement vaste qu’on ne peut pas les dépenser en achetant des chalets à Gstaad ou des sacs Gucci.»

Que ces sommes basculent vers la philanthropie doit beaucoup au Giving Pledge, ce serment lancé en 2010 par Bill Gates, sa femme Melinda et le financier Warren Buffett: donner au moins la moitié de leur fortune de leur vivant. Depuis, 170 ultra riches l’ont signé et la philanthropie est devenue un must pour l’ensemble des classes aisées de la planète.

Grande échelle «C’est une carte dans les dîners mondains, un must-have, comme on parlait d’oeuvres d’art ou de voitures de collection», observe Eric Berseth, directeur de Philanthropy Advisors, un cabinet basé à Paris et à Genève. BNP Paribas estime que les superriches (ceux ayant plus de 50millions de dollars à investir) donneront, auxEtatsUnis, 12%de leur fortune; enAsie, 10%et en Europe, en Afrique ou au Moyen Orient, 9%.

La montée en puissance des milliardaires de la Silicon Valley accentue le mouvement. A côté de Mark Zuckerberg, le patron de Facebook qui a promis d’y consacrer 99% de sa fortune, les fondateurs de Skype, eBay ou Sales force ses ont lancés dans la philanthropie à grande échelle.

«Il y a trente ans, si vous aviez fait un inventaire des philanthropes, vous auriez vu que la plupart venaient de l’industrie et des mines, note Brad Smith, du Foundation Center. Ils voulaient redonner aux communautés locales qui avaient fait leur fortune. Aujourd’hui, ils viennent surtout du numérique et de la finance. Cela forge une philanthropie différente.» Une philanthropie focalisée sur des défis globaux comme la santé, l’environnement ou le développement.

L’apport de ces nouveaux mécènes va-t-il permettre d’éradiquer la faim dans le monde, la pauvreté, l’illettrisme? C’est l’espoir des objectifs de développement durable (ODD) lancés par les Nations unies en 2015. En chiffrant les besoins mondiaux dans ce domaine à 2500 milliards de dollars d’ici à 2030–une somme hors de portée des budgets publics –, ils ont imposé la philanthropie privée comme un financeur central des politiques de développement.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. C’est ce que montrent des chiffres diffusés cet été par l’OCDE. Afin de mesurer les flux philanthropiques vers les pays en développement, l’organisation a sondé les 135 plus grandes fondations mondiales. Il en ressort que la philanthropie reste un nain comparée à l’aide publique: 7,6 milliards de dollars dépensés par an en moyenne sur 20132015, dont près de la moitié vient d’une seule fondation, celle de Bill et Melinda Gates. C’est beaucoup moins que le chiffre de 60milliards de dollars par an avancé par le Hudson Institute américain, et souvent repris dans les milieux philanthropiques. Et c’est bien peu comparé aux 142,6 milliards de dollars dépensés par les Etats pour l’aide au développement en 2016.

En outre, la philanthropie se concentre sur des pays émergents (Inde, Nigeria, Ethiopie, Kenya)ou à revenus moyens (Mexique, Afrique du Sud, Chine), pas sur les Etats les plus fragiles,comme La Centrafrique.

Enfin, 80%des flux philanthropiques passent par de grosses ONG ou des organisations internationales. «Cela ne correspond pas au discours souvent dominant qui veut que les philanthropes financent des organisations sur le terrain, observe Bathylle Missika, du centre de développement de l’OCDE. En finançant des partenaires traditionnels, ils restent dans une relative zone de confort. Et c’est la plupart du temps un engagement à relativement court terme, de un à trois ans, comme le montre notre enquête.»

Les millennials poussent les entreprises qui veulent les recruter à s’impliquer davantage dans la philanthropie.

Reste que le potentiel de la philanthropie semble énorme. Sur les quinze prochaines années, les donateurs privés pourraient consacrer plus de 360 milliards de dollars à la réalisation des ODD (ce qui inclut aussi des fonds dirigés vers les pays riches ou à revenus moyens). Et surtout, leur apport est qualitatif: «La philanthropie peut servir de catalyseur pour des projets plus durables, qui ont plus d’impact, en apprenant aux gens à s’aider eux mêmes», estime Per Heggenes, de la Fondation Ikea.

L’aide privée au développement a longtemps souffert d’une approche peu ciblée, dite «spray and pray», «j’arrose et je prie». Autre problème, note Eric Berseth, l’argent passait souvent par plusieurs intermédiaires (agences onusiennes, grandes ONG) avant de parvenir aux acteurs de terrain. Les nouveaux philanthropes prônent une approche plus directe, plus efficace, à l’image de Pierre Rispoli, qui dirige une société Parisienne d’investissement dans les entreprises non cotées (private equity). Au Kenya, sa Fondation EducImpact pilote un centre de réinsertion pour orphelins qui intègre les méthodes de gestion du privé. Et notamment la mesure d’impact, mantra de la nouvelle philanthropie, avec des audits et des outils de communication de données. A terme, le centre doit devenir autonome, en s’associant au secteur touristique local, afin de pouvoir se passer des financements français.

Original article on LE MONDE


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