Philanthropes, quand faut-il donner votre argent?
October 18th, 2013 | Youphil Par Eric BERSETH et Vincent MUDRY
Faut-il donner de son vivant, ou au moment de sa mort? Eric Berseth et Vincent Mudry, respectivement directeur et responsable des opérations de Philanthropy Advisors, nous éclairent.
La réussite se mesurant souvent à la richesse, l’objectif de beaucoup de personnes est de faire fructifier leur fortune pour la léguer à leurs héritiers. Certains d’entre eux décident de mettre une partie de ce que le travail, la chance ou l’héritage leur a apporté au service de leurs semblables, et deviennent philanthropes.
Certains le font de leur vivant, d’autres au moment de leur mort par un legs à des bonnes œuvres, par exemple. Quelle démarche est la plus pertinente, la plus efficace? Laquelle apporte le plus de satisfaction? Quelle est la plus louable? Si chaque démarche est personnelle, certains aspects particuliers peuvent éclairer ces choix.
Legs post-mortem: une stratégie peu efficace sur le long terme
Donner en fin de vie semble, à première vue, une solution naturelle, efficace et peu contraignante. Tant pour l’entourage ou les héritiers, que pour soi-même. De plus, cette solution apporte la sécurité et le confort de jouir de ses biens jusqu’à sa mort, et de pouvoir faire face à toute éventualité avec l’assurance de l’utilité sociale post-mortem de son capital. De même, ce choix est réversible ou “ré-orientable” tant que sa dernière heure n’est pas venue. Un simple travail notarié et le choix d’une structure d’accueil (ONG ou fondation déjà constituée) sont suffisants pour que le processus fonctionne.
En confiant sa fortune à des professionnels reconnus, on peut en toute sérénité présager les bienfaits futurs de son legs. Cette méthode a néanmoins des limites: les legs sont assortis de desiderata légitimes de leurs auteurs, mais sont rédigés dans l’intimité du bureau du notaire. En règle générale, ils sont conçus sans consultation de professionnels du secteur de la solidarité, et donnent souvent lieu à des intitulés qui ne correspondent peu ou pas aux besoins réels des populations, ou à la stratégie de l’organisme receveur.
Ainsi, si l’organisme bénéficiaire à l’obligation légale d’utiliser le legs pour la destination définie par le légataire, encore faut-il que cela soit cohérent avec sa stratégie, pertinent face au contexte et efficace, voire même possible, au regard des contraintes. En d’autres termes, le legs est souvent l’expression d’une volonté de faire le bien après son départ, mais ne permet que rarement de contribuer à une stratégie structurée et efficace à long terme.
Enfin, lorsqu’il y a des héritiers, ceux-ci peuvent avoir le sentiment d’être spoliés, n’étant pas forcément associés à la démarche du légataire et n’étant pas ou peu mis à contribution pour faire respecter sa volonté.
Voir l’impact de son action
Donner de son vivant permet, en revanche, de contourner ces limites, et de développer une démarche personnalisée et approfondie avec les professionnels de l’aide. Le tout afin de garantir la réelle expression et réalisation de sa générosité. Si, bien sûr, l’argument premier réside dans la satisfaction de voir l’impact de son action de son vivant (sans pour autant parler de vanité, mais simplement de la satisfaction de contribuer à quelque chose de plus large que soi-même), il s’agit surtout de donner un sens nouveau à son existence.
Face à l’exigence de maximiser l’impact de ses réalisations, faire de la philanthropie de manière sérieuse et avisée est un challenge et une prolongation de la réussite professionnelle et sociale.
De plus, donner de son vivant permet de donner à ses descendants une image de générosité, mais aussi une véritable structure efficace et pérenne qui mènera une action au-delà de sa propre existence. D’un point de vue familial, cela permet de se retrouver autour d’un projet commun fédérateur, tout en contribuant à transmettre un patrimoine physique, mais aussi familial. Un alliage de sens, de valeurs et de responsabilités.
Un défi et une expérience de vie
Participer à l’élaboration d’un projet philanthropique, avec ses écueils, ses errements, ses échecs et ses réussites, donnera à cette entreprise la maturité et l’expérience pour une efficacité et un impact à long terme. Alors que l’intuition philanthropique première est principalement guidée par ses émotions, la pratique de l’aide tend à la rationnaliser pour aller vers des objectifs, une efficacité et une pertinence sans commune mesure avec ses desiderata initiaux.
Une fondation ou un fonds de dotation ne sont pas seulement des véhicules financiers, ce sont aussi des valeurs, des savoirs et expertises, une expérience et des objectifs qui resteront après le passage de leurs fondateurs. Ce sont des structures vivantes qui s’adaptent au contexte, aux priorités émergentes ou aux nouvelles crises. Un simple legs serait, quant à lui, figé dans sa définition première.
S’engager de son vivant dans une aventure philanthropique, en le faisant de manière intelligente et professionnelle, c’est un challenge et une expérience de vie qu’il serait dommage de ne pas saisir.
Par Eric BERSETH et Vincent MUDRY
Original article on Youphil Par Eric BERSETH et Vincent MUDRY