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Le lien social, un atout stratégique?

April 1st, 2015  |  Apent Magazine

Après plusieurs années passées dans la finance et le business development, Eric intègre le secteur des ONG. D’abord au sein de Médecins Sans Frontières, puis au Comité International de la Croix Rouge, il travaille sur des contextes de crises aiguës tels que le Congo (RDC), le Darfour ou l’Afghanistan. Il occupe alors des fonctions principalement centrées autour de la gestion de projets et d’équipes.

En 2011 il fonde Philanthropy Advisors, un cabinet de conseil qui accompagne pour les grands philanthropes, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, dans la réalisation de leurs aspirations philanthropiques.

 

Apent : Qu’avez-vous pensé de l’étude ?

Eric Berseth : Elle est très intéressante, mais elle a, sans jugement de valeur, une approche très « asiatique », et moins axée sur les RH par rapport à ce qu’on lit habituellement. Le partage des valeurs et la cohésion entre les employés, l’entreprise, les clients grâce aux démarches RSE ne sont pas très mis en avant. Également, ce qui est assez intéressant dans l’étude, c’est de voir que les distances sociales et spatiales sont liées. On voit ici encore que c’est une étude faite en Asie. Les entreprises asiatiques ont des affinités régionales très grandes car la proximité géographique est aussi une proximité culturelle, du moins dans la plupart des cas. En France, dans l’humanitaire, on a des affinités plutôt historiques, par exemple avec les pays francophones d’Afrique de l’Ouest ou du Maghreb, qui ont une histoire commune avec nous. J’aime donc plutôt parler de proximité émotionnelle, qui à mon sens, regroupe les deux.

 

A : L’étude compare 3 initiatives RSE : le produit-partage, le sponsoring et la philanthropie. Est-ce qu’il y en a d’autres ?

E.B : Il y a le mécénat de compétences qui existe et qui est de plus en plus répandu. C’est une mise à disposition de personnes, et de leurs compétences au service d’ONG ou d’organisations sociales, humanitaires ou écologiques. Il y a par exemple des cabinets d’avocats qui mettent à disposition d’ONG des employés un certain nombre d’heures pro bono par semaine pour rédiger des statuts, des contrats de travail, des partenariats avec des bailleurs, entre autres. Cela peut être le cas aussi pour des notaires ou des cabinets de comptables, ou toutes autres entreprises ayant des compétences à mettre à disposition du milieu des ONG (marketing, communication, etc.).

 

A : Vous ne sentez jamais le côté branding dans la démarche des entreprises qui font appel à vos services ?

E.B : Il y a une volonté d’être en accord avec les valeurs de l’entreprise. Une entreprise de prêt-à-porter pour femme comme Comptoir des Cotonniers ou Princesse Tamtam, va généralement rechercher des projets qui soutiennent la cause des femmes (développement du droit des femmes, l’entreprenariat pour femmes, …) parce que ce sont les valeurs qui unissent les personnes qui travaillent dans ces entreprises, mais aussi celles qui achètent ce type de produits. Et il ne faut pas avoir une démarche marchande non plus : décider de faire de la RSE pour l’image de la marque uniquement.

 

A : Dans la RSE, aujourd’hui où en sommes-nous ? Avez-vous vu une évolution dans les rapports que les entreprises ont avec leurs responsabilités ?

E.B : Oui, on peut identifier deux phases. Au début la RSE se faisait principalement en interne : en mettant des ampoules basse énergie, en remplaçant les gobelets en plastique par des verres, etc. Certaines entreprises ont appliqué des politiques RSE dans leur supply chain : en revoyant leur modèle de fabrication, en limitant l’utilisation de produits toxiques. Il y a eu aussi une prise de conscience des problématiques RSE dans leurs politiques RH en interne, par exemple par l’amélioration des conditions de travail, autant en terme d’un meilleur respect des droits de l’homme dans les pays du Sud, que le développement du bien être au travail dans les sièges occidentaux. Récemment, on est entré dans une deuxième phase de la RSE qui est plus orientée vers l’extérieur, et donc vers avec ce qu’on appelle les local communities, c’est-à-dire de chercher des projets et des causes à soutenir qui sont externes à l’entreprise. Elles créent des fondations, elles développent des politiques RSE soit dans des marchés sur lesquels elles sont déjà présentes, soit sur des marchés qui n’ont aucun rapport avec leur business. Par exemple, la Japanese Tobacco International a une fondation qui œuvre dans le secteur des réponses aux catastrophes naturelles (recherche de personnes), ce qui n’a rien à voir avec leur activité commerciale. Il y a donc effectivement eu une évolution de l’activité RSE.

 

A : Est-ce que dans les démarches RSE externes il n’y a pas une forme d’hypocrisie ? Les entreprises devraient avant tout diminuer les impacts négatifs de leurs activités.

E.B : L’un n’empêche pas l’autre. C’est évident, dans une démarche RSE, que l’entreprise doit mettre en place des règles et des activités en interne. Mais dans l’idéal, l’entreprise développe une activité RSE en externe en parallèle ; c’est un co-développement. Mais par exemple, un bijoutier qui achètera ses matières premières dans des pays en guerre pour les avoir à bas coût, ça n’est pas cohérent s’il finance des activités RSE en externe. C’est une évidence que le bijoutier doive commencer par mettre des règles en interne concernant ses fournisseurs. Les ONG ont également des règles d’acceptation de bailleurs précises. Chez Philanthropy Advisors nous sommes plus orientés vers les initiatives RSE externes, mais nous recommandons aussi aux entreprises d’avoir une politique RSE interne.

 

A : D’ailleurs, c’est quoi exactement l’accompagnement que vous proposez aux entreprises ?

E.B : C’est assez varié. Il y a des entreprises qui viennent faire appel à nos services et qui n’ont aucune initiative RSE existante. Elles veulent créer une structure ou développer une activité RSE et ont envie de le faire de manière stratégique et réfléchie. Dans ce cas-là, nous les accompagnons dès la phase de réflexion en amont, et nous les amenons à le faire de manière inclusive : en parler avec les employés, les investisseurs, les actionnaires, les membres des comités de direction, voire avec des clients. Cela permet d’avoir une stratégie de développement RSE qui s’inscrit dans le temps, ce qui est primordial, surtout pour les bénéficiaires. Il y a également des entreprises qui ont déjà une fondation et qui veulent la changer de pays ou la rendre internationale. Dans ce cas on va effectuer une restructuration qui leur permet de mieux atteindre leurs objectifs RSE.

Enfin il y a le cas des entreprises qui viennent nous voir parce que ça fait 5 ans qu’elles financent un projet humanitaire, elles sont allées voir le projet sur place pour la première fois récemment et elles réalisent que c’est un projet qui n’existe pas, ou qui n’est pas efficace.

Nous faisons alors une évaluation, un audit financier, mais aussi extra-financier, ce qui est très important à notre sens. Beaucoup d’entreprises pensent que faire un suivi financier, légal et administratif c’est suffisant. Ce qui est important c’est avant tout de vérifier si le programme RSE qu’ils ont mis en place a un réel impact sur les bénéficiaires. Ce type d’évaluation là est malheureusement très rarement fait. Nous nous déplaçons, nous allons voir les bénéficiaires, les communautés locales, les porteurs de projets, les différentes parties prenantes etc., comme nous le faisions quand nous travaillions en ONG. Puis nous faisons un rapport à l’entreprise avec des recommandations qu’elle peut mettre en place elle-même ou en faisant appel à des prestataires externes. Enfin nous mettons en place des évaluations systèmes de suivi et nous les accompagnons dans la communication interne et externe sur ces initiatives RSE.

 

A : Qu’est-ce que vous aimeriez voir comme évolution dans les années à venir dans le domaine de la RSE ?

E.B : Une responsabilisation des entreprises dans leur RSE. C’est déjà de plus en plus le cas, mais il faudrait vraiment que ce soit répandu. Le temps de se contenter de vouloir faire de bonnes choses est révolu. Aujourd’hui, on attend des résultats concrets. Il faut mettre de l’énergie et des ressources, qu’elles soient financières ou humaines, et ce de manière cohérente, organisée et stratégique, pour avoir un impact maximum sur les bénéficiaires. La deuxième évolution que je voudrais voir, c’est que les entreprises qui supportent des associations comprennent qu’elles ne les ont pas attendues pour se professionnaliser. Les salariés des ONG ont des vrais métiers, des vraies compétences, ils ont fait des formations très poussées. Les entreprises ont des valeurs ajoutées à amener aux ONG, financièrement évidemment, mais aussi en terme de stratégie marketing, de foundraising ou de technicité, mais ça doit se faire dans une collaboration et surtout une compréhension mutuelle. Notre travail c’est de faire le lien entre ces deux parties, de casser les préjugés et d’expliquer qu’en travaillant ensemble, chacun peut avoir un rôle social qui est augmenté.

Original article on Apent Magazine


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