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L’intérêt commun

March 1st, 2015  |  French Touch Magazine Par Annah CAMUS

Très jeune déjà dans son pays d’origine, la Suisse, Eric Berseth apparaissait engagé et volontaire, porté par le souci des autres. Un choc fondateur, lors d’un voyage linguistique au Costa Rica, lui fait se découvrir une vocation: l’humanitaire. En 2012, il lance Philanthropy Advisors (www.philanthropyadvisors.org), une société spécialisée dans le conseil en philanthropie. C’est fort de plusieurs années de terrains humanitaires et de conseil aux grands donateurs qu’il nous parle de ce monde et de notre monde.

Au cours d’un voyage linguistique au Costa Rica, en 1998, vous êtes confronté au chaos causé par l’ouragan Mitch. Pouvez-vous nous parler de cet événement tragique et nous dire dans quelle mesure il a été à l’origine de votre parcours humanitaire ?

Je m’en rappelle comme si c’était hier. J’étais logé dans un quartier populaire de la ville côtière de Quepos, dans une famille modeste. Quand l’ouragan est arrivé tout le quartier s’est retrouvé sous l’eau, sans électricité et déchiré par des vents violents, touchant les plus vulnérables. La solidarité s’est rapidement organisée entre voisins avant même l’arrivée des premiers secours. Cet élan de solidarité générale dans l’adversité et le sentiment de pouvoir apporter de l’aide à des personnes en détresse m’ont donné envie d’en faire mon métier. Je suis alors rentré en Suisse pour poursuivre mes études, soldées par un 1er Master à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (HEID) suivi d’un 2ème Master au Centre d’Enseignement et de Recherche en Action Humanitaire (CERAH). Je suis ensuite parti sur les terrains humanitaires d’urgence, d’abord avec Médecins Sans Frontières (MSF), puis avec le Comité International de la Croix Rouge (CICR), avec qui j’ai travaillé dans des contextes de conflits armés et de catastrophes naturelles.

Quelle vision aviez-vous de l’expérience humanitaire avant d’être réellement confrontée à elle et comment celle-ci a-t-elle évolué au fil du temps ?

J’avais une vision un romancée et idéaliste de l’humanitaire. Je pensais que la « bonne volonté » était suffisante pour s’y engager. Je me suis vite rendu compte que l’humanitaire était un secteur composé de plusieurs métiers (médecine, logistique, administration, plaidoyer, etc.) et que chacun de ces métiers demandait une réelle professionnalisation. Je pensais aussi pouvoir résoudre les causes de la souffrance des hommes. J’ai appris rapidement que les humanitaires ne s’occupaient principalement que des conséquences des crises et non de leur résolution. C’est une prise de conscience difficile lors des premières missions.

Dérèglement climatique, tensions entre religions exacerbées, nationalismes galopants… les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou humaines, semblent, de l’extérieur, n’avoir jamais été aussi nombreuses et fréquentes alors que les lieux d’opération sont de plus en plus fermés, verrouillés. Quelle est, concrètement, la situation sur le terrain ?

Les terrains d’intervention humanitaires ont toujours été complexes et chaotiques. La question de la fréquence et de l’ampleur des crises, de l’accès aux terrains et du financement sont trois sujets vastes et complexes. Ces problématiques sont d’ailleurs souvent bien différentes qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, d’épidémies ou de conflits armés. Il est vrai que le nombre de catastrophes naturelles augmente, mais c’est surtout leur impact sur les populations qui est important, du fait de facteurs croisés tels la croissance démographique l’exode rural ou la précarité.

Pour ce qui est des conflits armés, depuis la Seconde Guerre mondiale, chaque décennie a vu son lot de conflits. Certes plus visibles et plus médiatisées aujourd’hui, ces guerres, parfois instrumentalisés par les régimes, ont toutes soulevé des problèmes d’accès pour les humanitaires. Ceux-ci continuent d’être un réel challenge, en particulier dans un monde où la perception de la limite entre l’humanitaire et le politique se réduit et où l’humanitaire peut être pris pour cible.
Une lecture attentive de ces crises et des réponses humanitaires apportées montre que les actions sont plus importante, plus efficace et ont plus d’impact qu’auparavant. Elle s’adapte sans cesse aux nouvelles contraintes. Par contre, les conséquences des crises et leurs réponses étant de plus en plus demandeuses de financement, les organisations sont de plus en plus amenées à chercher du côté du secteur privé qui peut ainsi accompagner le développement et l’innovation nécessaire aux nouvelles exigences.

Vous avez travaillé pour Médecins Sans Frontières (MSF) et pour le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), entre autres. Quel regard portez-vous sur le monde de l’humanitaire aujourd’hui ?

MSF et le CICR sont devenus, au fil des années, deux « Institutions » de l’humanitaire. Elle sont connues pour être particulièrement compétents dans leur domaine ; médical pour MSF et Protection et Assistance dans les conflits armés pour le CICR. Cette place s’est construite sur deux piliers : l’expertise tout d’abord, et c’est pourquoi nous plaidons pour le soutien au développement structurel des organisations et non uniquement de leurs opérations directes; le sens des responsabilités, ensuite, par rapport à l’environnement dans lequel elles évoluent et par rapport aux principes fondamentaux de l’action humanitaire (impartialité, neutralité et indépendance). Il existe cependant une multitude d’autres acteurs humanitaires nationaux et internationaux qui ont un réel impact sur les bénéficiaires. Certains sont bons, certain moins, mais ont du potentiel, et certains ne sont malheureusement pas à la hauteur ou mal intentionnés. Il est donc important de faire le tri et de soutenir les organisations sérieuses qui ont le potentiel pour assumer les responsabilités qui incombent aux acteurs du secteur de l’aide.

En quoi l’effacement progressif des États, dans le financement des projets humanitaires, change-t-il la façon de travailler, que ce soit en termes de récolte de fonds que d’actions sur le terrain ?

Le recul des Etats dans le financement des projets humanitaires a poussé le secteur à se tourner vers d’autres partenaires financiers du secteur privé ; individus fortunés et entreprises.

Le secteur privé est souvent prêt à prendre le risque de financements moins classiques (innovations, renforcements structurels, etc.) mais veut comprendre, contrôler et parfois s’impliquer dans la gestion des programmes humanitaires. Le secteur humanitaire veut fidéliser ses financements, tirer parti des compétences du secteur privé, tout en ayant une garantie sur l’indépendance de ses opérations. C’est donc un équilibre délicat qu’il faut mettre en œuvre qui induit une communication fluide et une réelle confiance.

Ce changement d’ère amène  des contraintes et opportunités nouvelles qui nécessitent la création de nouveaux services, de nouveaux postes chez les différents acteurs et de nouveaux métiers pour penser, concevoir, gérer et évaluer ces partenariats.

Comment est née Philanthropy Advisors, l’entreprise que vous avez créée en 2012 ?

J’ai été contacté, en 2011, par une connaissance, qui au décès de l’un de ses proches, souhaitait mettre une partie de son héritage dans une activité philanthropique structurée. Après l’avoir accompagné dans chacune des étapes de cette aventure j’ai fait part de cette expérience aux personnes qui ensuite sont devenues mes associés. L’entreprise est née suite aux constats suivants: désengagement des états dans le financement de l’humanitaire; engagement croissant du secteur privé; difficultés que celui-ci rencontre dans cette démarche et difficultés que rencontrent certains acteurs de l’aide à mobiliser des fonds. À cela se sont ajoutés une demande de mesure d’impact et de résultat, et l’engagement nuveau des entreprises dans le questions de responsabilité sociale. Notre mission est d’optimiser la relation entre le secteur privé (individus et entreprises) et le monde des organisations humanitaires pour améliorer l’impact sur les bénéficiaires.

Philanthropy Advisors est composée d’un duo d’experts de l’humanitaire (mon directeur des opérations et moi-même), apte à comprendre les enjeux de l’aide, tant sur le terrain que dans le contexte plus global du secteur (financements, Etats, ONGs, etc.) et d’un second duo analysant les contraintes et objectifs des bailleurs privés, apportant leurs compétences en stratégie et en communication des entreprises, RSE et services exclusifs. Pour couvrir tout le spectre des missions qui nous sont confiées, nous avons recours aux prestataires et consultants de notre large réseau. Cela nous permet d’accompagner les philanthropes privés, entreprises ou particuliers, dans des actions répondant aux contraintes et objectifs des victimes.

Quels ont été les projets que vous avez réussis à soutenir à travers Philanthropy Advisors et quels sont ceux que vous souhaiteriez mettre en avant ?

Nous travaillons aujourd’hui autant avec des particuliers que des entreprises, à travers des dons directs, des fondations ou des départements de Responsabilité Sociale (RSE), pour des clients d’origines diverses sur des projets humanitaires à l’international comme de proximité.

Je voudrais revenir sur un qui me semble emblématique. Lors du désastre du typhon Haiyan aux Philippines en 2013, nous avons été mandatés et envoyés sur place en moins de 72 heures par la Fondation Optimus de la Banque UBS afin d’évaluer les besoins des populations affectées ainsi que les capacités de réponses des organisations humanitaires sur place. Grâce à cette analyse, nous avons pu soutenir des projets pertinents ayant un impact réel pour les populations affectées. Au delà du côté « qualitatif », garant d’un impact maximal pour les bénéficiaires de l’aide, c’est aussi sur le plan « quantitatif » que cette opération fut un succès. En effet, la banque a lancé un appel aux dons auprès de ses employés premièrement, puis auprès de ses clients leurs proposant de doubler leur don jusqu’à hauteur de 3 millions de francs suisse.

La redéfinition des rôles et des responsabilités des entreprises et des particuliers par rapport à celui des Etats dans les réponses aux crises humanitaires nous incite à penser que l’aide de cette nouvelle ère est promise à un grand avenir. Malgré les inégalités mondiales croissantes et les crises sévères, la générosité s’accroit, et avec elle l’implication du secteur privé. Cette générosité nécessite d’être canalisée avec professionnalisme pour qu’elle soit efficace et qu’elle ait un impact pour les donateurs comme pour les personnes aidées. Nous sommes en train de déployer ce savoir-faire dans de nouvelles régions. Nous mettons en place de nouveaux outils pour appréhender les changements globaux afin de pouvoir créer de la valeur humaine, sociale et économique au travers de l’humanitaire.

Par Annah CAMUS

Original article on French Touch Magazine Par Annah CAMUS


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