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La route de l’enfer népalais est pavée de bonnes intentions

May 3rd, 2015  |  Le Temps Par Eric BERSETH et Vincent MUDRY

A l’heure où le Népal compte encore ses milliers de morts et de disparus, se pose la question des stratégies à cours, moyen et long terme en matière de secours humanitaire. Saura-t-on tirer les leçons du passé? C’est la question que se posent deux spécialistes, Eric Berseth et Vincent Mudry, de Philanthropy Advisors

La route de l’enfer népalais est pavée de bonnes intentions

Des images chocs, les télévisions en boucle sur l’événement, les mêmes mots dans les bouches de tout le monde lundi matin… un séisme a frappé. Des gens hagards au milieu des ruines de leur maison, des corps sous les décombres, certains déjà sortis s’empilent sur le bord de la route, des survivants sur les toits, sans eau, sans nourriture… les images et les témoignages nous sont pourtant familiers et nous rappellent ces précédents: Philippines, Haïti, Pakistan, tsunami…

Le séisme qui vient de frapper le Népal, un des pays les plus pauvres d’Asie, a toutes les caractéristiques d’une grave urgence ­humanitaire fortement médiatisée, où le capital de sympathie pour le pays, son peuple et sa culture ainsi que la présence de touristes occidentaux pris dans la tourmente vont jouer un rôle d’accélérateur.

De ce choc médiatique et de l’émotion légitime que l’événement et la détresse des populations affectées suscitent, un formidable élan de solidarité se met en place. Etats, agences onusiennes, société civile et ONG se mettent en route pour financer, secourir, coordonner, aider à survivre, nourrir, reloger, puis reconstruire un pays et une population qui font face à cette dure épreuve. De ce formidable élan, les individus, les fondations et les entreprises vont prendre leur part de responsabilité en mobilisant leurs énergies et leurs moyens afin d’aider, du mieux qu’ils peuvent, les acteurs de l’aide à secourir le Népal.

Pourtant, c’est bien un air de déjà-vu qui flotte et comme pour les précédentes «grosses» catastrophes humanitaires très médiatisées, ce que les médias couvriront une fois les images chocs passées seront principalement les ratés de ce bel élan, les plantages à tous les niveaux, ceux de la phase d’urgence, et les suivants aussi.

Ne jouons pas les Cassandre. Ce qui importera dans la gestion de cette nouvelle crise, comme de celles qui suivront est de tenter de canaliser les élans humanitaires afin d’en tirer le maximum d’impact pour les victimes du séisme.

Le secteur privé, entreprises et individus, a toute sa place à jouer dans ce type de réponse et son engagement est plus que le bienvenu, il est nécessaire. Néanmoins, pour qu’il soit efficace il faut qu’il soit mené de manière bien pensée et stratégique. En effet, si les montants mobilisés dans ce type de crises peuvent être très importants, leur répartition n’est pas toujours optimale.

Tout d’abord, la phase d’urgence bénéficie de plus d’attention et de plus de moyens grâce aux toutes premières levées de fonds encore chargées d’images et d’émotions auprès du grand public et grâce aux premières conférences de presse des ministères des affaires étrangères qui s’engagent aux côtés des autorités pour le peuple népalais. Cette phase initiale est évidemment essentielle, mais qu’adviendra-t-il dans le moyen et le long terme quand les besoins et les conséquences se feront aussi lourdement ressentir, mais que les médias ne seront plus là. Ensuite, certains lieux plus accessibles ou plus exposés médiatiquement capteront plus l’attention des acteurs, laissant certains villages aux communautés déjà fortement marginalisées avec très peu d’accès à l’aide. Enfin, les gros acteurs internationaux, certes reconnus et efficaces (pour la majorité d’entre eux), capteront l’essentiel des ressources, grâce à leur réputation, leur habileté en communication et leur savoir-faire dans les cercles de coordination où se décident des financements institutionnels. Cette aide se fera au détriment des acteurs locaux, seuls à même de poursuivre l’action sur le long terme. En outre, ce n’est que pour un soutien structurel à ces acteurs locaux que les germes du développement futur et les prémices d’une résilience pourraient être annoncés.

Le secteur privé a un grand rôle à jouer car il est le seul à pouvoir jouir d’une liberté totale dans l’allocation des fonds et peut ainsi aller chercher là où il aura le plus d’impact, là où les autres acteurs ne sont pas, là où il y a un manque structurel de financement entre la phase d’urgence, où les gros acteurs ont toute leur place, et la phase plus complexe de reconstruction où les acteurs de plus petite taille, ancrés localement, ont leur légitimité.

L’implication dans une crise majeure même si elle se fait dans l’urgence ne doit pas être faite dans la précipitation, et si l’émotion est immédiate après le séisme, la réponse ne doit pas se concentrer exclusivement sur cette phase d’urgence.

C’est là que réside la complexité: faire la balance entre ce qui doit être dépensé dans l’immédiat et ce qui, plus difficile à mettre en œuvre, doit se faire dans la durée, avec une exigence de qualité, un suivi approprié, un choix de partenaire, de secteur, de lieu à penser de manière stratégique ou sur les conseils avisés de professionnels expérimentés.

En outre, dans une phase d’urgence aiguë comme celle que vit actuellement le Népal, le légitime désir de solidarité et d’engagement ne saurait en rien justifier l’envoi de personnes non expérimentées, d’articles ou de solutions techniques non sollicités ou de toute autre chose qui ne serait pas en adéquation avec les besoins définis par les professionnels de l’aide et les populations bénéficiaires. Comme déjà trop expérimenté par le passé, la machine de l’aide, dans le chaos d’une grosse catastrophe humanitaire, n’est pas capable de gérer ce dont elle n’a pas besoin.

Qu’adviendra-t-il dans le moyen et le long terme quand les médias ne seront plus là?

Par Eric BERSETH et Vincent MUDRY

Original article on Le Temps Par Eric BERSETH et Vincent MUDRY


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